Bienvenue dans le monde merveilleux de la banque 2.0, oĂč vos investissements sont entre de bonnes mains⊠du moins jusquâĂ ce quâun prestataire externe dĂ©cide dâimproviser un Ă©pisode de âBlack Mirrorâ en mode Boursorama.
Le 22 mai 2025, KBC Securities Services, prestigieuse filiale du groupe bancaire belge KBC (spĂ©cialisĂ©e dans les titres financiers), a offert Ă environ 5 000 clients un cadeau inattendu : un pack dĂ©couverte contenant les portefeuilles dâinvestissement dâinconnus. Pas de phishing, pas de ransomware, juste une petite bourde old school : une fuite de donnĂ©es Ă lâancienne, bien propre, bien humaine, bien gĂȘnante.
đ€Ą Comment ? GrĂące Ă un prestataire sous cafĂ©inĂ©
Officiellement, câest la faute du prestataire externe. Non, pas un mĂ©chant hacker russe. Pas un groupe APT avec un nom de reptile. Juste un collaborateur qui a appuyĂ© sur âEnvoyer Ă tousâ avec la grĂące dâun stagiaire sous pression.
Résultat : au lieu de recevoir leurs propres relevés, des milliers de clients ont reçu les infos financiÚres de parfaits inconnus, comprenant :
- les montants investis,
- les actifs détenus,
- et assez de détails pour reconnaßtre certains gros poissons cotés en bourse.
On ne parle pas ici de ânom/prĂ©nom mal alignĂ©s dans un CSVâ. On parle dâune violente mise Ă nu financiĂšre par erreur de clic.
đ”ïž Qui est concernĂ© ? Spoiler : pas le grand public
Les victimes ne sont pas madame Michu ou un étudiant avec 200 ⏠en ETF. Non. Ici, on parle de :
- gestionnaires dâactifs,
- clients institutionnels,
- familles fortunées,
- bref, des gens pas forcĂ©ment fans de voir leurs donnĂ©es fiscales faire du yoga dans la boĂźte mail dâautrui.
Et comme souvent, ce sont justement les clients les plus discrets qui aiment le moins quâon expose leur patrimoine entre deux PowerPoint.
đŁ Le vrai risque pour KBC
KBC a, bien sûr, publié un communiqué trÚs corporate, à base de :
âLa protection des donnĂ©es est notre prioritĂ©.â
âNous avons agi immĂ©diatement pour remĂ©dier Ă lâerreur.â
âTout est sous contrĂŽle.â
Mais dans les faits, voici ce qui les attend au menu :
đ En entrĂ©e :
- EnquĂȘte RGPD avec une louche dâaudit CNIL (ou APD cĂŽtĂ© belge),
- Sanctions potentielles jusquâĂ 4 % du chiffre dâaffaires (on parle de plusieurs dizaines de millions dâeuros).
đ En plat :
- Class action, ou du moins quelques procĂ©dures civiles salĂ©es. Les clients nâapprĂ©cient gĂ©nĂ©ralement pas que leurs portefeuilles se retrouvent en vitrine.
đź En dessert :
- Une perte de confiance. Et dans le monde feutré de la banque privée, la confiance ne se rachÚte pas avec une hotline et un cookie consent.
đž Impact financier : pas que symbolique
On pourrait penser quâune âsimple erreur humaineâ nâa pas trop dâimpact. Mais ici :
- Il faudra auditer les processus internes et former les prestataires Ă ne pas appuyer sur âReply Allâ.
- Gérer les incidents avec un service client qui aura autre chose à faire que du small talk.
- Indemniser les clients, surtout si les informations fuitĂ©es permettent des conclusions sur leur fiscalitĂ©, leur stratĂ©gie patrimoniale, voire des conflits dâintĂ©rĂȘts.
Et au cas oĂč quelquâun cherche une rĂ©fĂ©rence, lâaffaire Blackbaud ou encore Capital One ont coĂ»tĂ© des dizaines de millions pour moins que ça.
đ€Ż Impact social : bienvenue dans la transparence involontaire
Pour un client lambda, recevoir par erreur le portefeuille dâun autre, câest gĂȘnant. Pour un dirigeant dâune sociĂ©tĂ© cotĂ©e, câest potentiellement explosif.
Imaginez : l’identitĂ© dâun actionnaire rĂ©vĂ©lĂ©e, des mouvements de fonds visibles, des arbitrages dĂ©duits⊠ça sâappelle du front-running involontaire.
Ă lâĂšre post-LuxLeaks, cette affaire peut aussi se transformer en cauchemar mĂ©diatique, surtout si des activistes ou mĂ©dias fouillent dans les donnĂ©es reçues.
đź Et maintenant ? Ce que KBC risque (spoiler : du karma)
Lâaffaire est encore chaude, mais voici les scĂ©narios :
- Lâamende RGPD : entre 1 et 10 millions dâeuros si lâAPD dĂ©cide de frapper fort (ce serait mĂ©ritĂ©).
- La jurisprudence : cette affaire pourrait rejoindre la longue liste des fuites « non malveillantes » aux conséquences lourdes. Exemple :
- UniCredit Italie (2020) : fuite « interne », 3,5 M⏠dâamende + rĂ©organisations.
- Travelex (2019) : fuite de donnĂ©es suivie dâun ransomware⊠et dâune faillite.
- La restructuration : audits, nouveaux CISO, clauses de confidentialitĂ© plus musclĂ©es, et peut-ĂȘtre une petite campagne de communication feel-good (« Chez nous, vos donnĂ©es sont⊠normalement bien gardĂ©es »).
đ§Œ Conclusion : âOops, we did it againâ
KBC Securities Services vient dâapprendre Ă ses dĂ©pens quâil ne suffit pas dâavoir un joli SSO et un coffre-fort de donnĂ©es.
Quand on externalise Ă la va-vite et quâon nâencadre pas correctement ses prestataires, la sĂ©curitĂ© devient un jeu de roulette russe. Cette fois, la balle est partie.
Rappelons-le : le Shadow IT, ce nâest pas que le SaaS mal contrĂŽlĂ©, câest aussi les partenaires externes quâon laisse manipuler les donnĂ©es sensibles sans double validation ni contrĂŽle qualitĂ©.
Voir nos articles sur les Shadow IT, Shadow SaaS et évidemment les Obligation des prestataires
Morale de lâhistoire ?
Quand on confie ses clients Ă un sous-traitant, autant lui rappeler que âCtrl + Sâ est plus sĂ»r que âCtrl + EntrĂ©eâ.