🪝 Appliquer ITIL à la souveraineté numérique : exercice absurde ou nouvelle nécessité stratégique ?

Souveraineté numérique, ITIL, cloud, hyperscalers, Microsoft exit, dépendance technologique: analyse sérieuse et mordante d’un enjeu européen majeur.

🛰️ Quand ITIL découvre la souveraineté numérique

Si l’on appliquait ITIL au sujet de la souveraineté numérique, il faudrait probablement ouvrir un Major Incident mondial, prévenir le COMEX de l’humanité, déclencher un war-room interminable et finir avec un post-mortem rempli de bonnes résolutions qu’on repoussera… jusqu’au prochain siècle.

On a déjà les symptômes:

  • un backlog Incident saturé de “vendor lock-in détecté”
  • des Problems “dépendance extraterritoriale” en statut “ouvert depuis 2012”
  • un CAB qui ressemble plus à une réunion OTAN-UE qu’à un comité de changement
  • une CMDB transformée en spaghetti bolognese d’APIs, SaaS, clauses CLOUD Act et pipelines CI/CD qui s’égarent aux États-Unis avant de revenir en Europe
  • un PRA qui commence par “prier pour que l’hyperscaler ne change pas ses licences… ou sa politique étrangère”

Bref, bienvenue dans le service management hyper-connecté, où la définition d’un risque ne se limite plus à “l’ERP qui tombe” mais inclut aussi “une puissance étrangère qui lit tes données avant toi”.

Ce sujet n’est pas nouveau pour nous. On a déjà parlé:

À chaque fois, la même réalité revient: la souveraineté numérique n’est pas un projet IT. C’est un projet civilisationnel, coincé entre geostrategie, dépendances industrielles, transferts de puissance et juridiques extraterritoriaux.

Ce n’est pas que nos outils de gouvernance IT sont mauvais. Ils sont juste conçus pour piloter un datacenter, pas une souveraineté technologique européenne. On peut automatiser nos tickets, optimiser nos flux, patcher nos serveurs… mais il n’existe toujours pas de workflow dans ITIL qui s’appelle:

“Plan de sortie douce du servage numérique”.

Alors aujourd’hui, on prend ITIL, on le secoue, on l’aspire dans un turbo-réacteur géopolitique et on voit comment il résiste au monde réel: un monde où le SLA n’est pas seulement de la disponibilité technique, mais parfois une dépendance stratégique consentie.

Spoiler: ça va piquer. Et oui, on va rigoler, parce que si on ne rit pas, il reste juste la déprime et un abonnement supplémentaire à Azure Active Directory Premium P2.

Prêt?
Ouverte d’incident globale en cours. Merci d’attendre le passage du CAB.

Inclure la souveraineté dans ITIL

🧰 ITIL en 3 phrases pour les gens normaux

Avant de sortir les grands sabres géopolitiques, rappel express.

ITIL, c’est:

  1. La méthode mondiale pour organiser un service IT sans que tout parte en fumée
  2. Des processus, des rôles et des procédures pour éviter que le SI soit géré comme un barbecue en open-space
  3. L’art de transformer chaos technique en tableaux Excel, workflows et réunions à 9h le lundi

L’objectif: stabilité, maîtrise, amélioration continue.

La limite: personne n’a jamais prévu le cas “Si l’intégralité de votre économie numérique dépend de trois entreprises américaines, appuyez ici”.

On passe donc d’un référentiel pensé pour gérer des incidents serveurs à une réalité où une décision prise à Washington peut avoir un impact plus fort sur ton plan de continuité que tout ton comité de crise interne.

Ça va. Respire. On n’a pas encore parlé du CLOUD Act (ça va pas durer).


🌍 Géopolitique, OTAN numérique et CLOUD Act

Quand le service management croise la stratégie de puissance

Tu peux aligner tous les processus ITIL du monde, mais si ton cloud, ton email, ton workspace, ton IA et tes identités AD sont dépendants d’un acteur extra-UE, ton véritable SLA s’appelle:

“Relation transatlantique”

Pas “uptime 99,99%”, mais “espoir que l’administration américaine du moment ne décide pas d’un changement doctrinal”.

Ce n’est pas du complotisme. C’est du droit.
Le CLOUD Act dit textuellement que les données hébergées chez un fournisseur US restent accessibles aux autorités US, même si elles sont stockées en Europe.

Résultat:

  • Europe: “Nous voulons être souverains”
  • Hyperscalers: “Bien sûr. Voilà un datacenter en Alsace avec un drapeau bleu dedans.”
  • CLOUD Act: “Hold my beer”

Tu peux mettre ton O365 en “France Central”, l’API juridico-stratégique reste made in USA.
Tu peux activer le mode “cloud souverain opéré par un partenaire européen”, l’architecture juridique reste extraterritoriale.

Et pendant ce temps:

  • 🇺🇸 États-Unis: empire techno-juridique basé sur la puissance logicielle
  • 🇨🇳 Chine: empire techno-autoritaire basé sur la puissance étatique
  • 🇪🇺 Europe: système de vote à main levée pour décider du logo du futur “cloud souverain” (format PowerPoint, couleur pastel)

On rit.
Puis on se rappelle qu’un jour, un DSI d’un ministère devra expliquer pourquoi ses données étaient plus proches de Seattle que de Strasbourg.


🧯 Incident Management

“Vendor lock-in détecté” — Incident ou état structurel ?

Objectif ITIL du processus
Assurer le rétablissement rapide d’un service interrompu ou dégradé.

Version souveraineté numérique
Assurer le rétablissement d’une autonomie qui n’a jamais vraiment existé.

Symptôme observé
Un service critique repose sur une technologie cloud propriétaire, non substituable à court terme, assortie de clauses juridiques extraterritoriales et d’une feuille de route produit que vous découvrez sur LinkedIn avant votre comité d’architecture.

Déclencheur typique

  • Augmentation soudaine des prix
  • Restriction de fonctionnalité on-prem pour forcer la bascule SaaS
  • Modification unilatérale des conditions d’usage
  • Fin du support ou migration “obligatoire” vers un environnement cloud externe

Diagnostic
Réponse courte: dépendance stratégique à un fournisseur non européen.
Réponse honnête: dépendance organisationnelle, technique, budgétaire, culturelle et RH, cumulées depuis une décennie.

Impact métier

  • Perte d’agilité technologique
  • Perte de négociation contractuelle
  • Perte de maîtrise opérationnelle
  • Risque juridique et souveraineté des données
  • Risque sur la continuité d’activité si changement de modèle imposé

Le tout généralement accompagné de la phrase:
“On savait que ça arriverait un jour, mais ce n’était jamais le bon moment pour s’en occuper.”

Priorité ITIL
Officiellement: P2
Officieusement: P1 silencieuse reportée après la refonte SAP, la migration CRM, et la roadmap IA… à chaque trimestre depuis 2018.

Résolution courte terme
Mesures palliatives telles que:

  • Achat de licences supplémentaires
  • Renouvellement anticipé du contrat
  • Activation d’options Premium
  • Acceptation tacite du modèle imposé

Dans d’autres domaines, on appelle ça captivité économique élégante.

Résolution long terme souhaitée

  • Architecture réversible
  • Standards ouverts
  • Capacités internes renforcées
  • Plan de diversification fournisseur
  • Cloud hybride ou multi-cloud maîtrisé
  • Possibilité technique et juridique de sortir

Status réel
En file d’attente.
Documenté.
Classé.
Reporté au prochain exercice budgétaire.


🔍 Problem Management

“Cause racine: dépendance structurelle hors zone de souveraineté”

Objectif ITIL du processus
Identifier la cause racine d’incidents récurrents et mettre en place des solutions définitives pour réduire le risque à long terme.

Version souveraineté numérique
Identifier la cause racine d’une dépendance stratégique nationale et mettre en place une solution… idéalement avant la retraite du RSSI, la prochaine réforme de la commande publique, et la 15ᵉ relance de Bruxelles sur l’autonomie numérique.

Symptôme observé

  • Répétition cyclique des alertes “risque souveraineté”
  • Multiplication des audits “dépendances critiques”
  • Présence d’un fournisseur unique sur un segment stratégique
  • Émotions mêlées lors des conférences sur “l’autonomie européenne” (souvent: soupir collectif + “on fera mieux demain”)

Diagnostic
Cause racine: dépendance industrielle profonde couplée à une absence d’alternative mature et compétitive internalisée dans l’écosystème européen.
Facteurs aggravants:

  • inertie technologique
  • dette organisationnelle
  • fidélisation involontaire via écosystème applicatif
  • rareté des compétences libres/open source/multicloud internes

En langage ITIL: Known Error.
En langage réel: choix historiques → dépendance durable.

Impact métier

  • Fragilité stratégique à l’échelle de l’entreprise, parfois du pays
  • Perte d’autonomie décisionnelle vis-à-vis des outils et de leurs cycles
  • Contraintes réglementaires externes non négociables (CLOUD Act, export control, politique produit)
  • Inhibition de l’innovation interne (hard lock + soft lock culturel)

Priorité ITIL
Documentée comme P2 stratégique
Traité dans les faits comme “question de fonds sans urgence opérationnelle”, jusqu’au jour où cela le devient soudainement.

Contournement actuel

  • Renforcement de la relation fournisseur
  • Participation aux programmes partenaires
  • Création de “gouvernance cloud” qui gère l’usage mais pas la dépendance
  • Surveillance légale et conformité renforcée
  • Comités stratégiques et notes internes “à horizon 2030”

Traduction: on optimise le problème sans le résoudre.

Solution durable envisagée

  • Stratégie de désensibilisation graduelle
  • Introduction d’alternatives ouvertes/interopérables
  • Construction d’un socle interne de compétences (critique)
  • Découplage progressif des services
  • Révision des règles d’achat (public et privé)
  • Participation aux initiatives européennes, mais avec objectif concret, pas décoratif

État réel

  • Rédigé dans la feuille de route stratégique
  • Mentionné dans le Comité de Direction
  • Valorisé dans le rapport RSE/ESG
  • Existant surtout dans la colonne “Transformations futures”

Bilan:
Le Problem est bien identifié, bien documenté, bien cadré…
Et soigneusement posé sur une étagère avec une étiquette “Au moment opportun”.


🏛️ Change Advisory Board

“Du CAB IT au mini-Conseil européen, même énergie”

Objectif ITIL du processus
Évaluer, approuver et planifier les changements de manière contrôlée pour minimiser l’impact et assurer la continuité du service.

Version souveraineté numérique
Évaluer, approuver et planifier une réduction de dépendance numérique en évitant trois effets indésirables:

  • déclencher un incident diplomatique,
  • faire paniquer le COMEX,
  • être accusé de mettre en péril la roadmap PowerBI du trimestre.

Composition classique d’un CAB IT

  • DSI
  • RSSI
  • architecte
  • exploitation
  • parfois métiers

Composition CAB “souveraineté numérique” (non-officielle mais réelle)

  • DSI
  • Juridique (pupitre “CLOUD Act” en alerte jaune)
  • Risque & Conformité
  • Achats
  • Public Affairs / Relations institutionnelles
  • Un consultant qui dit “l’Europe travaille déjà dessus”
  • Et quelqu’un qui demande: “qu’est-ce que fait Microsoft/Google/AWS là-dessus?”

Ambiance: comitologie sous perfusion de dépendances technologiques.

Déroulé type du CAB souveraineté

  1. On identifie un changement stratégique (par exemple: réduire l’usage d’O365)
  2. On évalue l’impact (réponse implicite: civilisationnel)
  3. On évoque une alternative européenne/open source
  4. Silence poli
  5. Quelqu’un mentionne “risque de rupture opérationnelle”
  6. On propose un pilote… limité à trois utilisateurs volontaires, en sandbox, sans email, sans calendrier, sans SSO
  7. On conclut: “on réévalue dans six mois”

Résultat officiel
Changement rejeté ou repoussé “par prudence”, “dans le cadre de la continuité de service”.

Résultat réel
Un fournisseur stratégique américain continue de fournir un service critique en toute sérénité, et l’entrée “autonomie technologique” gagne un nouvel onglet dans le tableau stratégique, catégorie “Q4 2027”.

Commentaire diplomatique
Les institutions européennes ne sont pas absentes. Elles sont présentes, volontaires, mobilisées, motivées… mais souvent dans un rôle consultatif qui arrive après la décision produit et avant le communiqué de presse enthousiaste.

Ce n’est pas un défaut de volonté.
C’est ce qu’on obtient quand des processus conçus pour gérer des mises à jour Windows doivent soudain arbitrer des enjeux de souveraineté économique mondiale.

En résumé:
Le CAB souveraineté veut faire les choses bien, mais se retrouve parfois à négocier avec des forces de marché qui n’ont pas demandé son avis.


🗂️ CMDB

“De la cartographie technique au spaghetti géostratégique”

Objectif ITIL du processus
Maintenir une vision claire, exhaustive et à jour des composants du SI et de leurs dépendances, afin de comprendre l’impact de tout changement.

Version souveraineté numérique
Maintenir une vision claire, exhaustive et à jour des composants du SI… puis constater que la moitié de la supply chain logicielle traverse l’Atlantique avant même d’atteindre l’écran de l’utilisateur.

État attendu d’une CMDB IT

  • Relations maîtrisées
  • Composants identifiés
  • Services clairement mappés
  • Environnement documenté

État réel d’une CMDB souveraineté

  • SaaS dépendant lui-même d’un autre SaaS
  • Authentification via un service cloud globalisé
  • API qui dialoguent avec des régions cloud éclatées
  • Ressources gérées par outils tiers d’observabilité US
  • Pipelines CI/CD hébergés hors zone réglementaire locale
  • Télémetrie envoyée on ne sait où, mais ça aide pour le support, alors bon…

Visuellement, cela ressemble moins à un diagramme d’architecture qu’à:

  • Un plat de spaghetti très cher
  • Avec une sauce cloud américaine
  • Et quelques olives européennes pour la décoration

Analyse technique sans fard

Dans une CMDB souveraineté, tu observes vite quatre niveaux de dépendance:

NiveauExempleRisque
InfraCloud, CDN, DNSDisponibilité & loi extraterritoriale
PlateformeIAM, CI/CD, DBaaS, logsContrôle identité & opérations
ApplicationSuite bureautique, CRM, ERP SaaSCaptation fonctionnelle
DonnéesBI cloud, stockage objet, backup externaliséAccès, transfert, analyse

Une rupture à n’importe quel niveau peut affecter les trois autres.
ITIL appelle cela interdépendance critique.
La géopolitique appelle cela vulnérabilité systémique.

Effet domino typique
Tu préfères garder un annuaire interne?
Très bien.
Sauf que ton IAM fédère avec AzureAD pour la gestion des terminaux,
ton MDM utilise des API cloud US,
et ton SSO mobile dépend des push Apple/Google…
qui passent souvent par des régions hors UE.

Tu pensais documenter un “service informationnel”.
Tu dessines en réalité une carte des rapports de force numériques mondiaux.

Conclusion CMDB
Une CMDB souveraineté révèle deux faits:

  1. La dépendance n’est pas technique, elle est infrastructure + juridique + culturelle.
  2. Aucun outil ITSM ne permet aujourd’hui de taguer une application comme
    “compliance stratégique OTAN-level mais fragile côté autonomie européenne”.

En clair:
On sait tracer un flux réseau.
On sait moins tracer une dépendance géopolitique.

Et pourtant, les deux impactent ton PRA.


📜 SLA & Contrats

“99,99% de disponibilité. 0% de souveraineté garantie.”

Objectif ITIL du processus
Définir un cadre de service mesurable, garantir un niveau de performance, et assurer l’alignement entre fournisseur et organisation.

Version souveraineté numérique
Définir un cadre de service mesurable… puis réaliser qu’aucun indicateur contractuel ne couvre le sujet principal:
la capacité à décider pour soi-même demain.

SLA traditionnels

  • Disponibilité: 99,9%
  • RTO / RPO
  • Délais de support
  • Pénalités en cas de manquement

SLA souveraineté (non écrits mais implicites)

  • Juridiction applicable: non négociable
  • Infrastructure contrôlée: dans le meilleur des cas, “sur demande”
  • Exportabilité des données: possible “sous conditions légales étrangères”
  • Réversibilité: théorique, mais rarement opérationnelle
  • Neutralité géopolitique: non contractuelle, ni garantie

Dans un contrat cloud classique, la plus grosse clause cachée n’est pas dans les astérisques.
Elle est dans le silence juridique entourant la souveraineté.

Exemple d’illusion contractuelle
“Vos données sont hébergées dans l’Union Européenne.”

Sans mention:

  • de l’opérateur réel des systèmes
  • de la chaîne d’administration
  • des outils de gestion intégrés
  • du droit applicable en cas d’enquête judiciaire étrangère
  • de l’accès via obligations légales extra-territoriales

Ça rassure.
Jusqu’à ce que le RSSI appelle le juridique et obtienne soudain très envie de partir en congé.

Lecture traditionnelle du SLA
“Temps de disponibilité garanti.”

Lecture souveraineté
“Service disponible… tant que le fournisseur, son gouvernement, sa stratégie commerciale et son agenda géopolitique le permettent.”

Disjonction structurelle
L’ITIL voit un fournisseur.
La réalité voit une entité privée opérant sous un cadre juridique national pouvant primer sur ton cadre interne.

Clause non écrite mais bien réelle

“Continuité de service sous réserve d’alignement stratégique macro-économique.”

Tu peux négocier une remise commerciale.
Tu pourrais avoir plus de mal à négocier avec une loi fédérale américaine votée il y a six ans.

La question stratégique qu’aucun SLA n’aborde

“Que se passe-t-il si le modèle économique ou politique change et que nous n’avons ni alternative, ni compétence interne?”

Pas de métrique.
Pas de KPI.
Seulement un risque existentiel non quantifié.

Conclusion SLA
ITIL dit: “mesurer pour gouverner”.
Souveraineté répond: “nous avons mesuré l’uptime, pas l’autonomie.”

Les deux semblent compatibles…
Jusqu’au jour où l’on s’aperçoit que le SLA protège la disponibilité du service,
et pas la liberté de l’organisation qui l’utilise.


☁️ PRA/PCA

“Plan de continuité… ou plan de continuité de dépendance ?”

Objectif ITIL du processus
Assurer la reprise et la continuité des services critiques en cas de crise technique ou opérationnelle.

Version souveraineté numérique
Assurer la continuité… mais déterminer d’abord de quoi on assure la continuité:

  • continuité du service ?
  • continuité du prestataire ?
  • continuité de l’autonomie de décision ?

Parce qu’un PRA peut garantir que le service tourne,
tout en garantissant aussi que vous restez captif du même fournisseur.

Exemple concret
Plan de continuité Microsoft, version entreprise:

  • Redondance des services
  • Multi-régions cloud
  • Mécanismes de failover
  • Stockage géo-répliqué

Tout cela est utile, sérieux, indispensable.
Puis un matin, Microsoft décide d’un changement de modèle de licence.

Scénario typique (déjà vu, pas hypothétique):

AvantAprès
Licence perpétuelle avec option cloudLicence cloud obligatoire
Option locale (Exchange, AD, Office)Fonctionnalités clés migrées en SaaS only
Gouvernance interneRoadmap dictée par l’éditeur
Contrôle interne de l’exploitDépendance structurelle au cloud du fournisseur

Officiellement, rien n’est “en panne”.
Le PRA ne se déclenche pas.
Le SLA est respecté.
Le service est disponible.

Et pourtant, le modèle opérationnel de l’entreprise est forcé de muter, avec effort budgétaire et organisationnel majeur.
Il ne s’agit pas d’une défaillance informatique, mais d’une rupture stratégique externe.

ITIL appelle cela une évolution de service.
Les DSI appellent cela une inflexion imposée du modèle numérique.
Les équipes achat appellent cela une renégociation en situation asymétrique.

Question fondamentale
Votre PRA protège votre système…
protège-t-il votre capacité à décider comment vous travaillez demain ?

Analyse
Deux types de continuité coexistent:

TypeObjectifOutil
PCA/PRA opérationnelRétablir le serviceITIL, DRP, redondance
Continuité stratégiquePréserver l’autonomie de choixGouvernance, architecture souveraine, diversification

Le premier assure qu’on continue.
Le second assure qu’on ne continue pas sous contrainte permanente.

L’erreur fréquente: penser que la résilience technique suffit.
Réfléchir PRA sans souveraineté revient à construire un bunker dans un terrain loué, avec un propriétaire qui peut changer la serrure.

Conclusion PRA
Un bon PRA garantit la reprise.
Un bon plan de souveraineté garantit qu’elle ne se fera pas sur l’agenda ou le business model d’un tiers.

Dans beaucoup d’organisations, le premier existe, le second dort dans une note stratégique… rangée entre “zéro-trust” et “cloud réversible”.


🤝 Supplier Management

“Fournisseur stratégique… ou dépendance systémique sous contrat ?”

Objectif ITIL du processus
Assurer que les fournisseurs et leurs services soutiennent efficacement les besoins métier, dans un cadre contractuel maîtrisé et aligné.

Version souveraineté numérique
Assurer que le fournisseur soutienne l’organisation…
tout en constatant que dans certains cas, c’est l’organisation qui soutient la position dominante du fournisseur.

Le contrat existe, la gouvernance aussi, la relation partner est active.
Tout semble conforme.
Jusqu’à ce qu’on tente vraiment de parler alternatives, réversibilité, capacité de sortie, ou évolution du modèle d’usage.

Le mythe fondateur
“Nous gérons nos fournisseurs.”

La réalité dans certains segments technologiques

  • Nous dépendons d’eux
  • Nous suivons leur roadmap produit
  • Nous adaptons nos cycles de transformation à leurs calendriers
  • Nous intégrons leurs outils de gestion, compliance, observabilité
  • Nous adoptons leurs standards techniques et leurs API
  • Nous reformons nos équipes selon leur référentiel technologique

Cela ne s’appelle pas du Supplier Management.
Cela s’appelle une adhésion structurelle à un écosystème.

En langage économique: verrouillage bilatéral asymétrique.
En langage diplomatique: alignement de facto.

Indicateurs ITIL classiques

  • Performance contractuelle
  • Qualité de service
  • Conformité SLA
  • Satisfaction client
  • Suivi fournisseur

Indicateurs manquants dans 95% des organisations

IndicateurPourquoi il manque
Capacité de sortie opérationnelleRarement testée, souvent théorique
Indice de substituabilitéVu comme “risque improbable” jusqu’à ce qu’il devienne réel
Dépendance juridique extraterritorialeHors périmètre du contrat commercial
Autonomie de décision technologiqueCulturellement sous-estimée
Alignement géopolitique indirectPas un KPI IT, mais ça en devient un

Moment révélateur
Le Supplier Management atteint ses limites le jour où la DSI pose la question simple:

“Que se passe-t-il si nous voulons réduire l’exposition à ce fournisseur ?”

Réponse fréquente:

  • Impact budgétaire élevé
  • Impact fonctionnel majeur
  • Impact compétences
  • Impact SI
  • Risques opérationnels
  • Résistance interne (usage, adoption, habitudes)

Autrement dit: changement systémique, pas décision tactique.

État final constaté
L’organisation n’a pas “un fournisseur stratégique”.
Elle a une colonne vertébrale numérique privée externalisée.

Conclusion Supplier Management
ITIL suppose des fournisseurs gérables, substituables, pilotables.
Le marché actuel crée des plateformes incontournables, intégrées, systémiques.

La gouvernance fournisseur évolue donc de:

“Gérer la relation contractuelle”

à quelque chose de plus lucide:

“Gérer un rapport de force technologique, juridique et économique”.

Ce n’est plus du « Procurement ».
C’est de la géostratégie appliquée au numérique.


🧭 Solutions & Vision Systémique

“Pas un plan de com. Un plan d’autonomie.”

Objectif ITIL implicite
Réduire le risque, améliorer le service, renforcer la résilience.

Version souveraineté numérique
Même mission, mais élargie à un niveau que les manuels ITSM n’avaient pas anticipé:
assurer la continuité opérationnelle et décisionnelle de l’organisation dans un écosystème numérique mondialisé.

En clair: rester maître de son destin technologique, même quand l’air du temps pousse à l’abonnement automatique.


🧱 Architecture: construire du réversible pour être libre

  • Adopter des standards ouverts
  • Découpler les briques critiques
  • Séparer les identités des workloads
  • Multicloud par stratégie, pas par brochure marketing
  • Edge computing pour souveraineté de proximité
  • Piloter la donnée comme actif stratégique, pas comme flux de licence

Pas besoin de tout quitter.
Il faut pouvoir partir si nécessaire.


👥 Culture & Compétences: former des bâtisseurs, pas des consommateurs

  • Monter en compétence interne sur les stacks open source et cloud alternatifs
  • Former sur la réversibilité, pas uniquement sur l’adoption
  • Encourager la polyvalence: maîtriser l’écosystème dominant et ses alternatives
  • Faire revenir le réflexe d’ingénierie interne
  • S’assurer que les décisions techniques ne deviennent pas des réflexes commerciaux déguisés

La souveraineté se construit autant dans les cerveaux que dans les datacenters.


🏭 Économie & Industrie: reconstruire du moteur technologique européen

  • Co-investissements publics/privés dans les infrastructures souveraines
  • Fonds européens dédiés au cloud, au hardware, à la cybersécurité et à l’IA
  • Commande publique comme levier stratégique, à la manière… des États-Unis
  • Stratégie GPU et compute européenne (l’énergie est déjà géopolitique; le calcul le devient)

L’Europe n’a jamais gagné en laissant le marché décider seul de sa sécurité.


⚖️ Régulation & Cadre juridique: mettre l’agilité au service de l’ambition

  • Intégrer la souveraineté numérique dans les cadres de conformité (ISO, NIS2, DORA)
  • Introduire des exigences de réversibilité contractuelle réelles
  • Encadrer juridiquement l’extraterritorialité des services numériques
  • Inclure la dimension souveraineté dans les analyses risques opérationnels

Ce n’est pas “moins de réglementation”.
C’est une réglementation orientée souveraineté, pas slide PowerPoint.


🤝 Gouvernance interne: un comité stratégique, pas un ticket Jira

  • Comité souveraineté numérique au niveau directionnel
  • Intégration dans la gestion des risques d’entreprise (ERM)
  • KPIs adaptés: substituabilité, autonomie décisionnelle, capacité de sortie
  • Test annuel de réversibilité (comme un PBSI pour l’autonomie)

La souveraineté n’est pas un projet.
C’est un critère de gouvernance durable.


🎯 Résultat visé

Non pas se couper du monde, mais être dans le monde sans en dépendre complètement.

Un SI capable de:

  • coopérer
  • interopérer
  • migrer
  • résister
  • décider

Un SI qui protège la continuité… mais aussi la dignité technologique de l’organisation.


✅ Conclusion

“ITIL protège vos services. La souveraineté protège votre futur.”

Les frameworks IT pensent risques IT.
La souveraineté pense risques civilisationnels.

Les deux mondes doivent fusionner.

L’un gère les incidents.
L’autre évite qu’un jour,
le simple fait d’exister numériquement devienne un acte dépendant d’autrui.

Ce n’est pas un discours idéaliste.
C’est du pragmatisme stratégique à horizon 10 ans.

En attendant, continuez à patcher, monitorer, contractualiser.
Mais dans un coin du tableau — juste à côté de “PRA annuel” —
ajoutez une case:

Test de continuité stratégique: niveau d’autonomie technologique

Un jour, cela fera partie des audits obligatoires.
Ce jour-là, autant être déjà prêt.

Incident clos.
Problème documenté.
Action: Plan souveraineté en cours d’exécution.

🪝 Appliquer ITIL à la souveraineté numérique : exercice absurde ou nouvelle nécessité stratégique ?
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🖋️ Publié sur SecuSlice.com

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