Baptisé Amendement CS178, il s’insère dans la loi “Résilience des infrastructures critiques” et vient étendre les obligations de la directive européenne NIS 2 bien au-delà de ses cibles initiales. Alors que beaucoup profitaient encore de la plage ou préparaient la rentrée, un discret amendement déposé le 5 septembre 2025 à l’Assemblée nationale a provoqué une véritable secousse dans le monde de la cybersécurité française.
Derrière quelques lignes anodines se cache une révolution réglementaire : désormais, éditeurs de logiciels, startups, hébergeurs, constructeurs et industriels seront soumis à des exigences de cybersécurité comparables à celles des opérateurs de services essentiels. Gouvernance, audits, signalement d’incidents, MFA, PRA/PCA, responsabilité des dirigeants… tout y passe.
Cet article décrypte les enjeux, les risques, les implications concrètes et les conséquences stratégiques de ce petit texte à l’impact colossal — et t’explique pourquoi le CS178 pourrait bien devenir le texte le plus explosif de la cybersécurité française.
🛠️ 1. 🧠Contexte & « petit » amendement, grosse onde
Le 5 septembre 2025, un amendement numéroté CS178 a été déposé à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi « Projet de loi relatif à la résilience des infrastructures critiques et au renforcement de la cybersécurité » (communément appelé « loi Résilience des infrastructures critiques »). dpo-partage.fr
L’objet ? Ajouter explicitement les « éditeurs de logiciels » au périmètre d’application des obligations issues de la Directive NIS2 (et de sa transposition nationale). Assemblée Nationale
Autrement dit : « vous pensiez ne pas être concernés ? Détrompez-vous. »
Ce qui rend l’amendement CS178 redoutable : il ne change pas seulement un mot, il illustre une révolution de périmètre. Une vague nocturne bien silencieuse qui pourrait balayer un grand nombre d’éditeurs, startups, hébergeurs, constructeurs industriels — bref, tout l’écosystème numérique de l’ombre.
Pour rappel NIS 2 c’est ça : 🛡️ NIS2 : La cybersĂ©curitĂ© devient (enfin) sĂ©rieuse… et obligatoire !
📌 2. Pourquoi maintenant et pourquoi ça change tant ?
- Avec NIS2, le législateur européen a souhaité passer la cybersécurité d’un cadre « essentiel » et « important » déjà large, à un cadre massif, couvrant jusqu’à 15 000 entités estimées en France.
- Le périmètre français du projet de loi « Résilience » prévoit de transposer NIS2, mais aussi la « Cyber Resilience Act » et d’autres dispositifs.
- Jusqu’à présent, les éditeurs de logiciels n’étaient pas expressément soumis aux obligations de sécurité / contrôle anticipé comme le sont les opérateurs de services essentiels. L’amendement CS178 corrige cette omission. Assemblée Nationale
Autrement dit : on passe d’un monde où la cybersécurité réglementaire désignait “les gros” à un monde où toute la chaîne d’approvisionnement numérique (éditeurs, fournisseurs de composants, prestataires) doit être prise en compte.
🎯 3. Les principaux enjeux de l’amendement
- Renforcer la conception logicielle sécurisée (security by design) : l’amendement vise à imposer que les éditeurs prennent en compte la sécurité dès la conception et le développement de leurs produits.
- Mettre un niveau minimal de sécurité dans les briques logicielles : les vulnérabilités logicielles sont un vecteur majeur d’attaque cascade (ex : chaîne d’approvisionnement). On vise ainsi à casser ce maillon faible.
- Responsabiliser les éditeurs et prestataires : obligation de suivi, correctifs, audits, documentation, transparence.
- Allonger les obligations de l’utilisateur/client : si l’éditeur est sous contrôle, l’acheteur d’un logiciel (collectivité, hôpital, opérateur) aura désormais un levier contractuel plus fort.
- Amélioration de la résilience globale du SI national : en incluant plus d’acteurs, on vise à réduire l’effet champignon d’un incident logiciel ou d’une chaîne d’approvisionnement vulnérable.
🚨 4. Les risques & conséquences pour les acteurs concernés
Pour les éditeurs / startups
- Changement de posture : vous devez vous positionner comme un acteur “critique” de la chaîne numérique, avec obligations et sanctions.
- Coûts à anticiper : audits, documentation, tests de vulnérabilité, suivi de sécurité, conformité. Ces frais ne sont plus “optionnels”.
- Contrats rivés : les clients (hôpitaux, collectivités, opérateurs) vont exiger des garanties, des clauses de responsabilité, des SLA de sécurité.
- Risque de réputation et sanction accrue : si vous ne respectez pas, les conséquences ne seront plus seulement commerciales mais administratives voire pénales (ou quasi-pénales).
Pour les utilisateurs (collectivités, établissements de santé, industriels) - Revue des fournisseurs : vous devez vérifier que vos éditeurs sont “compliance ready”.
- Renforcement des audits et contrats : audit logiciel, garantie de correctif, visibilité sur la chaîne d’approvisionnement.
- Effet domino : si l’éditeur n’est pas conforme, vous prenez un risque accru sans forcément le savoir.
Pour le national et l’écosystème - Complexité de mise en œuvre : nombreux acteurs, maturités hétérogènes, compétences limitées.
- Implémentation progressive : l’amendement n’est pas encore en vigueur pleinement — il faudra décrets, textes d’application.
- Risque d’engorgement et de sur-réglementation : attention à ne pas se noyer sous la conformité et perdre en agilité.
💡 5. Exemples concrets (et effets “WTF” on-ne-l’avait-pas-vu-venir”)
- Un éditeur SaaS de gestion des dossiers patients pour les hôpitaux : jusqu’ici, la direction informatique de l’hôpital effectuait un audit fonctionnel et technique. Avec CS178, l’éditeur devra prouver qu’il respecte le cadre sécurité (correctifs, vulnérabilités, audits). L’hôpital pourrait exiger un plan formel de mise à jour sous X jours.
- Un hébergeur cloud qui fournit des services à des collectivités : il devra désormais vérifier que ses briques logicielles tierces utilisées sont conformes (bibliothèques open source, modules externes) – avant, ce risque était “hors contrôle”.
- Un constructeur industriel fournissant une solution IoT pour des infrastructures critiques (ex : eau potable) : désormais, non seulement le hardware mais aussi le logiciel embarqué entre dans la boucle de conformité.
- Exemple “faille chaîne” : un correctif tardif d’un composant logiciel tiers utilisé massivement peut paralyser un hôpital ou un réseau de distribution – l’amendement vise à éviter que le gros service dépende d’un maillon faible non surveillé.
🧾 6. Implications pour la gouvernance et la stratégie IT
- Les DSI/RSSI doivent intégrer le périmètre “éditeurs/prestataires” dans leur cartographie de risques.
- Checklist Ă construire :
- Identifier tous les éditeurs/fournisseurs logiciels critiques.
- Vérifier leur niveau de maturité cyber (audit, correction, incident).
- Insérer dans les contrats des obligations de sécurité, SLA, obligations de reporting.
- Prévoir un plan de continuité/resilience (PCA/PRA) incluant fournisseurs/prestataires.
- Le pilotage devient multi-dimensionnel : technique, juridique, contractuel, assurance.
- Attention à la documentation : comme pour la conformité ISO 27001, les preuves comptent : gouvernance, procédure, incidents, correctifs.
- L’audit des prestataires doit devenir régulier : pas seulement “à l’entrée du contrat”, mais “durant l’opération”.
- Le budget cyber doit prévoir les coûts liés à cette extension : plus d’audit, plus de conformité, plus de supervision.
🔍 7. Et maintenant ? Quelles étapes et que surveiller ?
- Suivre l’adoption définitive du projet de loi “Résilience” et sa publication au Journal officiel. L’amendement CS178 est déjà adopté en commission mais doit encore passer toutes les étapes.
- Surveiller les décrets d’application : ceux-ci détailleront les modalités précises (secteurs visés, seuils, calendrier).
- Vérifier le périmètre exact : quelles tailles d’entités, quels types d’éditeurs/fournisseurs, quels seuils financiers ou de réseau.
- Anticiper la contractualisation : mise à jour des modèles de contrats, des clauses fournisseurs, annexes sécurité.
- Évaluer la maturité interne : êtes-vous prêt à auditer vos fournisseurs, à suivre les incidents, à imposer des correctifs ?
- Se préparer aux sanctions et conséquences réelles : la conformité ne sera pas un “nice to have” mais un “must have”.
🎯 8. Pourquoi ce texte est une bombe à retardement pour l’écosystème numérique français
Parce qu’il modifie le terrain de jeu :
- Ce n’est plus “juste les gros opérateurs d’importance vitale ou les services publics”, c’est désormais toute la chaîne qui protège la nation numérique.
- Le modèle “on fait un logiciel, on le vend, on passe à autre chose” ne suffit plus : l’éditeur doit rester actif sur la sécurité après-vente.
- Pour les startups, c’est un challenge : soit elles vivent le deal “accordéon” avec une conformité faible maintenant, soit elles anticipent et investissent.
- Pour les acheteurs (hôpitaux, collectivités, entreprises), c’est une opportunité et une menace : opportunité de renforcer la sécurité, menace de devoir faire un tri sévère dans les fournisseurs.
- Pour le marché de la cybersécurité, c’est un tournant : croissance des audits, des services conformité, des offres “assurance cyber fournisseur”.
- Et enfin, pour la nation, c’est un signal clair : la cyber résilience ne peut plus être à moitié engagée. Les vulnérabilités dans un logiciel peuvent devenir vulnérabilité nationale.
âś… Conclusion
Oui, l’amendement CS178 est petit sur le papier, énorme dans l’impact.
Pour les dirigeants IT, RSSI, DSI de PME/ETI, éditeurs et hébergeurs, il est temps de passer de « on verra bien » à « on est prêt ».
La chaîne de cybersécurité s’allonge : ne restez pas le maillon qui casse sous la pression.
Pour moi, c’est un moment clé : ce texte mérite une attention stratégique, opérationnelle et organisationnelle.
