⚙️ Un secteur vital devenu une cible privilégiée
L’industrie représente l’un des piliers de l’économie mondiale. En 2024, selon l’OCDE, l’industrie manufacturière représentait plus de 16 % du PIB mondial. En France, elle reste un moteur stratégique avec près de 260 000 entreprises employant 3,2 millions de personnes. Or, cette importance économique et logistique fait de l’industrie une cible privilégiée pour les cybercriminels, les États-nations et les hacktivistes.
Les cyberattaques contre l’industrie se sont multipliées ces dernières années. D’après le rapport IBM X-Force Threat Intelligence Index 2024, le secteur industriel a été le plus ciblé au niveau mondial, représentant 32 % des attaques recensées, devant la santé et la finance.
🚨 Attaques majeures récentes : une hécatombe numérique
🔧 Norsk Hydro (Norvège) – 2019, une attaque à 70 millions de dollars
Le géant de l’aluminium Norsk Hydro a été frappé par LockerGoga, un ransomware qui a paralysé ses systèmes informatiques à l’échelle mondiale. L’entreprise a refusé de payer la rançon, préférant restaurer ses systèmes. Bilan : près de 70 millions de dollars de pertes opérationnelles, mais une image renforcée par sa gestion transparente de la crise.
🛢 Colonial Pipeline (USA) – 2021, chaos dans l’approvisionnement
Même si plus proche du secteur énergétique, cette attaque a marqué l’interdépendance des chaînes industrielles. Le groupe DarkSide a exigé une rançon de 4,4 millions de dollars, perturbant le ravitaillement en carburant de la côte Est des États-Unis. Cette attaque a démontré la vulnérabilité des systèmes SCADA/ICS et provoqué une prise de conscience politique majeure.
🏭 Renault-Nissan – 2017, paralysés par WannaCry
Lors de la vague WannaCry, le groupe Renault-Nissan a été contraint d’arrêter temporairement la production dans plusieurs usines, notamment en France et au Royaume-Uni. WannaCry a exploité une vulnérabilité non corrigée de Windows (EternalBlue). À l’époque, le coût indirect pour Renault n’a pas été chiffré publiquement, mais l’impact a été significatif sur la supply chain.
🧬 Evotec (Allemagne) – 2023, biotechnologies à l’arrêt
Evotec, acteur industriel de la pharmacie, a subi une cyberattaque qui a forcé l’arrêt temporaire de ses systèmes informatiques. L’entreprise a averti ses actionnaires d’un impact potentiel de 20 à 30 millions d’euros sur le chiffre d’affaires annuel. Un rappel cruel que l’industrie 4.0 reste dépendante de l’IT.
🏭 NUCOR (USA) Incident majeur – Mai 2025
Le 14 mai 2025, Nucor, l’un des plus grands producteurs d’acier des États-Unis, a annoncé une interruption temporaire de certaines de ses opérations suite à un incident de cybersécurité majeur. Peu d’informations ont été rendues publiques, mais le groupe a confirmé que des tiers non autorisés avaient accédé à ses systèmes informatiques, entraînant une mise hors ligne préventive de plusieurs installations. Lire l’article Secuslice
💣 Des conséquences souvent tragiques… ou une opportunité de résilience
Cas de faillites ou quasi-liquidations
Certaines PME industrielles, faute de moyens pour se relever après une attaque, déposent le bilan. En 2022, une PME française de mécanique de précision, non nommée dans les rapports de l’ANSSI, a perdu l’intégralité de ses données de production et de commandes. Sans sauvegardes efficaces, elle a cessé ses activités en moins de trois mois.
Des rebonds spectaculaires
À l’inverse, Norsk Hydro ou encore Schneider Electric (ciblé à plusieurs reprises depuis 2022) ont investi massivement dans leur cybersécurité post-attaque. Ces entreprises ont misé sur la transparence, la résilience et la cybersécurité industrielle (OT security), souvent en partenariat avec des startups et experts du domaine. Ces cas montrent qu’une cyberattaque bien gérée peut aussi renforcer la réputation et la confiance des partenaires.
🧠 Analyse des vulnérabilités spécifiques à l’industrie
1. L’héritage technologique (Legacy Systems)
De nombreuses entreprises industrielles utilisent encore des systèmes SCADA, PLC ou HMI déployés dans les années 2000, voire plus tôt. Ces systèmes sont souvent :
- Incompatibles avec les mises à jour modernes ;
- Dépourvus de protocoles de chiffrement ;
- Connectés sans cloisonnement suffisant à l’IT.
C’est un eldorado pour les groupes APT ou ransomware-as-a-service.
2. La convergence IT/OT mal maîtrisée
L’industrie 4.0 pousse à connecter l’atelier au SI : ERP, MES, capteurs IoT, supervision distante… mais cela crée une surface d’attaque explosive. L’attaque contre Oldsmar Water Facility (2021), bien que dans le secteur public, montre comment un accès RDP mal protégé peut suffire à menacer un système industriel vital.
3. Sous-investissement chronique
Selon une étude de Deloitte de 2023, 40 % des entreprises industrielles investissent moins de 5 % de leur budget IT en cybersécurité. Un chiffre dramatique alors que le coût moyen d’une attaque dans l’industrie atteint plus de 4,5 millions d’euros (source : Ponemon Institute).
4. Chaînes d’approvisionnement vulnérables
Les cybercriminels ciblent les sous-traitants plus vulnérables pour infiltrer les donneurs d’ordre. Le cas de Target en 2013 (secteur retail) via un prestataire de CVC industriel reste emblématique, mais la stratégie est désormais largement utilisée dans l’industrie.
5. Manque de sensibilisation des équipes OT
Les opérateurs, ingénieurs process et techniciens sont rarement formés à la cybersécurité. Or, le facteur humain reste le vecteur principal d’intrusion, que ce soit via un email de phishing ou une clé USB piégée dans un atelier.
🛡 Recommandations stratégiques
- Segmentation stricte IT/OT avec des firewalls adaptés (zone de DMZ industrielle) ;
- Monitoring des flux réseaux OT en temps réel (solutions type Claroty, Nozomi) ;
- Gestion des vulnérabilités sur les systèmes embarqués et protocoles spécifiques (Modbus, Profinet…) ;
- Plan de reprise d’activité (PRA) testé régulièrement, avec des backups hors ligne ;
- Sensibilisation ciblée du personnel de production.
📈 Vers une transformation structurelle ?
La pression réglementaire (NIS2, RGPD, Cyber Resilience Act) et les exigences des assureurs cyber forcent les industriels à revoir leur copie. D’ailleurs, certains groupes comme Airbus, Siemens ou ArcelorMittal ont mis en place de véritables SOC OT, dédiés à la détection d’anomalies industrielles. Une tendance appelée à se généraliser.
🔚 Conclusion
L’industrie est à un tournant. Sa digitalisation rapide, couplée à des infrastructures historiquement peu sécurisées, en fait un secteur à haut risque. Mais cette même digitalisation offre les outils pour construire une cyber-résilience robuste. Encore faut-il investir, anticiper et transformer les mentalités.
Parce qu’à l’ère de la guerre hybride et des ransomwares sophistiqués, protéger l’industrie, c’est protéger l’économie et la souveraineté.